L'éphéméride d'André Castelot (suite)

Le 15 juin

Le 15 juin 1888, Frédéric III mourait et Guillaume II devenait empereur d'Allemagne.

Cet impérial cabotin, ce kaiser de la gaffe était doué d'un orgueil qui laisse pantois. Pensez qu'un jour son médecin lui ayant dit qu'il avait un petit rhume, il répliqua, sérieux et mécontent :

"Un grand rhume, monsieur ! Chez moi, tout est grand !"

Sa vanité phénoménale pouvait s'épanouir tout à loisir lors des parades militaires qu'il affectionnait comme personne, en dépit des difficultés dues à son infirmité. Son bras gauche était en effet paralysé et atrophié. Du bras droit, il saluait et le bras malade servait à tenir l'épée et les rênes. Quant au cheval, il était dressé à marcher tout seul. Les revues militaires lui permettaient surtout de changer d'uniforme. Il en possédait plus de deux cents et il lui arrivait d'en changer dix fois par jour ; il les adaptait aux circonstances !

Le prince de Hohenlohe qui fut son chancelier prétend qu'il eut toutes les peines du monde à l'empêcher de se déguiser un jour en général romain pour visiter un musée d'antiquités. Pour présider à l'inauguration d'un pavillon de chasse, il s'affublait d'une tenue de garde forestier, mais, le même soir, il se mettait en grand-amiral de la Flotte pour aller entendre le Vaisseau fantôme à l'Opéra...

Il recevait ses visiteurs d'un manière étonnante... mais ici, il faut laisser la parole au duc de Windsor.

"Pour me souhaiter la bienvenue, il se leva d'un façon bizarre, comme s'il descendait de cheval. En m'approchant, je vis avec stupeur qu'il s'était levé d'une sorte de bloc de bois en forme de cheval, à quoi était fixée une selle militaire complète, avec étriers. Remarquant ma surprise, l'empereur sourit et m'expliqua avec condescendance qu'étant habitué à être toujours à cheval, il trouvait cette selle plus favorable à la pensée claire et précise qu'une banale chaise de bureau."

Le plus extraordinaire fut peut-être que Guillaume II, qui durant tant d'années avait brandi son épée en clamant son courage, devint tout à coup d'une rare prudence lorsque le rideau se leva sur la catastrophe qu'il avait déclenchée. "Je suis l'armure de Dieu, son épée et son instrument !", criait-il à ses soldats qui allaient mourir pour lui... Mais il demeurait prudemment en arrière. Il fut bien le type du "valeureux poltron", selon le mot de son oncle, le roi d'Angleterre.

A suivre...

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