L'éphéméride d'André Castelot (suite)

4 mars :

Au bord de la Seine

Clio est rentrée affreusement tard. J’ai cru d’abord qu’une nouvelle modiste en était la cause. Je me trompais lourdement.
— Jean Prasteau m’a emmenée faire une promenade sur les bords de la Seine.
 

— Par ce temps affreux, par ce grand vent ?
— Oui, j’ai voulu qu’il me lise son livre le long des quais.
— Tu es devenue folle ?
— Jean a écrit un ouvrage sur les Îles de Paris et j’ai trouvé gentil de l’évoquer ainsi avec lui.
 

— Et il a accepté ?
— Bien sûr, il est historien-poète, lui, et on est « pays ».
Je vous ai dit un jour que Clio était Parisienne, avec tout ce que cela comportait d’adorable et d’irritant, mais que, comme toute vraie Parisienne, elle avait vu le jour n’importe où, sauf dans la capitale ; le « n’importe où » se situe pour elle non loin de La Rochelle dont Jean Prasteau est originaire.
 

— D’ailleurs, poursuit Clio, il faisait délicieux sur les bords de la Seine. Le vent faisait un si joli bruit en jouant dans les feuilles…
Remarquez, soit dit en passant, que si j’avais entraîné Clio dans semblable expédition, le vent serait devenu blizzard et le « joli bruit » une horrible rafale.
— Je t’assure, affirme Clio, que Julien a raison.
Je demandai, inquiet :
— Julien ?
 

— Oui, l’empereur Julien, lorsqu’il écrivait : « J’étais en quartier d’hiver dans ma chère Lutèce. C’est une toute petite île, enfermée dans l’enceinte de son rempart et qu’on ne peut aborder que par deux ponts de bois. Ce fleuve au milieu duquel elle est étendue est paisible et régulier ; son eau très agréable à boire et les habitants viennent la puiser à la rivière. L’hiver n’y est pas rude et la clémence de la température est si grande qu’on voit croître, aux environs, une vigne de bonne qualité, et que même quelques figuiers se montrent, mais si frileux qu’on doit, pendant la mauvaise saison, les envelopper d’un manteau de paille… »
 

— Et qu’avez-vous encore évoqué devant Lutèce ? La bergère gauloise Geneviève, la future sainte de Paris ?
— Tu confonds avec Jeanne d’Arc. Geneviève n’était pas bergère. Ses parents possédaient de grosses propriétés du côté de Nanterre. Son père était romain et se nommait Sévère et sa mère une Grecque du nom de Gérontia.
 

— Et vous êtes resté longtemps autour de la Cité ?
— Nous avons été voir une île moins connue : celle que Jean appelle l’Île des Quatre-sous.
— L’Île des Quatre-sous ?
— Oui, l’île des Cygnes et sa Liberté de poche…
 

— Jean Prasteau t’a-t-il dit que c’est une dame à la vertu légère qui posa pour Bartholdi ?
— Non, mais il m’a raconté que cette île, née seulement en 1825 (et formée par les gravats provenant du port de Grenelle) était entrée dans l’Histoire en 1886. En fouillant à trois mètres sous terre, on découvrit une étrange embarcation du passé ; C’était un long navire, formé d’un tronc de chêne renforcé par six courbes de bois fixées à la coque par des chevilles de sapin. On venait de trouver l’une des neuf cents barques qu’utilisa Labienus en 52 av. J.-C. pour faire franchir la Seine à son armée.
— Et pourquoi l’appelle-t-on l’Île des Cygnes ?
— On lui donna le nom d’une île ainée qui se mourait en amont et qui était séparée de la rive gauche par un canal nauséabond : la rue de l’Université. Prasteau m’a lu ce texte d’un « explorateur » parisien qui, dans son Voyage de Paris à Saint-Cloud, décrit ainsi l’ancienne île des Cygnes : « Nous fîmes la découverte d’une grande isle déserte, sur laquelle je ne remarquai que des cabanes de sauvages et quelques vaches marines, entremêlées de bœufs d’Islande… J’ai observé que les pâturages en doivent être excellents, à cause de la proximité de la mer… »
 

A suivre...

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