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15 juillet :

Jouffroy d’Abbans, dit Jouffroy-la-Pompe

Le 15 juillet 1783, des badauds lyonnais virent un bateau qui, tout en crachant des torrents de fumée noire, essayait de quitter, par ses propres moyens, le quai de la Vaise et de remonter le cours de la Saône. C’était une embarcation pontée longue de 46 m, large de 4,50 m, flanquée de deux roues à aubes semblables à celles d’un moulin à eau et qui tournaient grâce à une machine à vapeur (une pompe à feu, comme l’on disait alors). À bord se trouvait un homme de trente-deux ans, la main crispée sur la crosse d’un pistolet…

Si l’expérience ne réussissait pas, l’inventeur avait décidé de se brûler la cervelle.

Il se nommait Claude de Jouffroy d’Abbans et c’est grâce aux économies de sa sœur, chanoinesse de Baumes-les-Dames (et aussi grâce à la toiture du château familial dépecée pour se procurer des matériaux) qu’il pouvait, ce 15 juillet 1783, essayer de réaliser son rêve.

C’est en prison qu’il avait commencé à rêver.

D’abord page de la dauphine Marie-Antoinette, puis sous-lieutenant au régiment de Bourbon, le jeune Jouffroy n’avait rien trouvé de mieux que de conquérir avec succès la jolie maîtresse de son colonel… ce qui (on le conçoit) avait fort déplu à ce dernier, d’autant plus qu’il se nommait le comte d’Artois et était le petit-fils du roi.

Les deux jeunes gens (le colonel était de six ans plus jeune que son lieutenant) manquèrent descendre sur le pré. Louis XV mit le holà et expédia Jouffroy au fort royal de l’île Sainte-Marguerite avec l’espoir de lui calmer les sangs.

Sur la terrasse du fort, le prisonnier vit évoluer les galères venues de Toulon et se prit de pitié pour le sort des forçats sur qui pleuvaient les coups de gourdin. Durant deux années, il crayonna les plans d’une machinerie à vapeur pouvant faire mouvoir des rames.

Et, peu après sa libération, en juin 1776, Jouffroy d’Abbans réussit à faire évoluer pour la première fois sur le Doubs, face aux rochers de Chatard, un bateau muni de « rames à vapeur » ou, pour être plus précis, de rames articulées et mues par une machine à vapeur confectionnée par le chaudronnier Humphrey Potter, un Franc-Comtois en dépit de son nom d’aspect britannique. L’embarcation, qui avait quarante pieds de long et six de large, ne progressait guère plus vite qu’un engin inventé par un certain Claude-François d’Auxiron et qui, le 6 septembre 1774, au mieux des quolibets, avait fait, paraît-il, quelques brasses sur la Seine. Il fallait trouver mieux ! C’est alors que Jouffroy décidé d’appliquer à la navigation le système de la roue de moulin encore en vigueur aujourd’hui sur bien des lacs alpins.

L’expérience du mois de juillet 1783 réussit au-delà de ses espérances : le bateau avançait spectaculairement à coups de grands claques sonores données dans un tourbillon d’écume. Arrivé à l’île Barbe, le vainqueur jeta son pistolet à l’eau. Il crut avoir gagné la partie et sollicita du ministère Calonne le privilège d’exploiter un service à vapeur sur la Saône et le Rhône.

Sa demande fut accueillie dédaigneusement. « Il avait, en effet, commis cette faute impardonnable, nous explique Pierre Rousseau, d’avoir accompli toute son œuvre en province, en ignorant délibérément Paris, l’Académie des Sciences et la cour… En fait de privilège et de projets, « Jouffroy-la-Pompe », comme le surnommèrent les élégants gentilshommes de la cour, fut prié, par l’Académie, de refaire ses expériences à Paris… et d’attendre. »

Refaire son expérience ? Construire un autre bateau sur la Seine ? Mais la chanoinesse n’avait plus d’économies et le château d’Abbans plus de toiture !

Et les années passèrent…

Les cavalcades héroïques et sanglantes de Napoléon, de Madrid à Moscou, avaient fait passer au second plan les plaisirs de la navigation à vapeur. Pour démontrer la valeur de son invention et obtenir le privilège de la navigation sur la Seine, Jouffroy d’Abbans dut attendre le retour de Louis XVIII. Au début de 1816, il lançait sur la Seine (à Bercy) un nouveau bateau qu’il baptisa avec flagornerie Charles-Philippe, prénoms de l’ancien comte d’Artois, devenu Monsieur, frère du roi, pensant faire oublier par cette amabilité leur ancienne rivalité amoureuse. La descente de la Seine se passa fort bien et le Charles-Philippe, aux applaudissements de la foule, alla jeter l’ancre au pied du pavillon de Flore d’où le roi et son « auguste famille » vinrent l’honorer d’un regard admiratif. Ce succès fut sans lendemain… du moins pour le malheureux Jouffroy-la-Pompe.

A suivre...

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Tag(s) : #Ephéméride, #Evénement historique
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